Au Maroc, l’opinion publique face à la normalisation des relations avec Israël

11 months ago
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Au Maroc, l’opinion publique face à la normalisation des relations avec Israël

Article de Aurélie Collas •

Palestine, Sahara occidental, identité juive marocaine, répression en Cisjordanie, partenariats économiques : les Marocains restent tiraillés deux ans et demi après les accords d’Abraham.

« Je suis Rajaoui, je suis Palestinien, je ne vais pas te laisser seul à Gaza. » Cette chanson des supporters du Raja CA, l’un des deux clubs de foot de Casablanca, Younès Khaye, 20 ans, la connaît par cœur. Il l’a écrite sur sa copie du bac il y a trois semaines, en guise de réponse. Il la chante dans les tribunes des stades, exutoire de toutes les contestations de la jeunesse populaire marocaine. « Elle est la voix du peuple ! », assure le jeune homme rencontré dans le quartier de Derb Sultan, fief des green boys, les supporters dont les tags verts, couleur du club, recouvrent les murs de chaque ruelle.

« Au dernier match du Raja, on a sorti le drapeau palestinien pour montrer qu’on n’est pas d’accord avec le gouvernement qui collabore avec le régime sioniste », poursuit Younès Khaye, en référence à la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël en décembre 2020 dans le cadre des accords d’Abraham – une entente entre l’Etat hébreu et plusieurs pays arabes négociée par les Etats-Unis. Depuis, les visites d’officiels israéliens dans le royaume se succèdent et des coopérations se nouent tous azimuts dans les domaines militaire, sécuritaire, économique, commercial ou encore touristique.

Le Maroc et Israël instaurent leur première coopération juridique
Plus loin, à la terrasse d’un café, Mustapha*, 69 ans, abonde dans le même sens. Voilà bien longtemps que lui ne brandit plus le drapeau palestinien au stade ni dans la rue, et pourtant : « Tous les Marocains défendent la Palestine, affirme-t-il. C’est une cause juste que je défendrai jusqu’à la mort ! » La célèbre photo de l’équipe marocaine posant avec l’étendard palestinien lors de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar reste gravée dans sa mémoire, tout comme les tribunes inondées des couleurs de la Palestine. Pour lui, « le gouvernement n’a rien à voir avec l’opinion du peuple ».

« Trahison »
Seulement 31 % des Marocains seraient favorables à la normalisation, selon un sondage publié en 2022 par le réseau de recherche non partisan Arab Barometer. Avec l’accession au pouvoir en Israël de courants ultranationalistes, hostiles aux pourparlers avec les Palestiniens, et la répression en Cisjordanie occupée, ce fossé entre classe dirigeante et opinion publique pourrait encore se creuser. « L’actualité met mal à l’aise, elle raidit. Beaucoup de gens sont atterrés par la politique d’Israël », observe le journaliste Jamal Amiar, auteur de l’ouvrage Le Maroc, Israël et les Juifs marocains (Bibliomonde, 2022).

« Trahison » pour certains, la normalisation avec Israël n’est pas toujours perçue comme telle. Lorsqu’il en parle, sur une petite place de Derb Sultan, Samir Assoli, 18 ans, évoque d’emblée le rôle du roi, Mohammed VI, qui préside le comité Al-Qods chargé de veiller sur la Ville sainte de Jérusalem. « Il envoie de l’argent là-bas ; il soutient la Palestine », affirme-t-il. « Notre pays est un médiateur : il défend une solution à deux Etats », renchérit, plus loin, Zinedine Katim, la soixantaine. A ses yeux, s’allier avec Israël et défendre la Palestine n’est pas incompatible : « Et il est normal que le Maroc défende ses intérêts. »
Entre le Maroc et Israël, le « coming out » d’une relation très spéciale
Bien qu’une majorité de la population s’y oppose, le Maroc est classé au second rang des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient les plus favorables à la normalisation (après le Soudan) par l’Arab Barometer, qui explique cette relative adhésion par les « avantages stratégiques » que les Marocains peuvent percevoir de ce rapprochement. A commencer par la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental – autre cause largement fédératrice – que Rabat a obtenue de Washington dans le sillage des accords d’Abraham.

« Une bonne partie des Marocains se rallient discrètement à la position officielle du régime qui fait de la normalisation un choix pragmatique servant les intérêts du pays : intégrité territoriale, mais aussi intérêts sécuritaires, dans un contexte régional tendu avec l’Algérie, et intérêts économiques, souligne Aziz Chahir, enseignant-chercheur en sciences politiques à Rabat. Cette frange de l’opinion n’est pas contre le rapprochement si cela peut avoir des impacts socio-économiques favorables. »

https://www.msn.com/fr-fr/actualite/monde/au-maroc-l-opinion-publique-face-%C3%A0-la-normalisation-des-relations-avec-isra%C3%ABl/ar-AA1daaMx?ocid=msedgdhp&pc=U531&cvid=98b052f955064b379ba389e71f1f2d91&ei=8

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